Le climat est une urgence

L’urgence de la situation est largement sous-estimée. Ceux qui nient encore l’existence même du changement climatique sont désormais rares. Mais trop peu reconnaissent sa réelle ampleur, ses conséquences et les risques que nous prenons si nous continuons sur notre lancée actuelle. Lorqu’on se fixe une échéance aussi loin que 2050 pour parvenir à zéro émissions de CO2, c’est que l’on a pas vraiment intégré ce qui est en train de se passer…

Cette urgence est pourtant documentée avec précision par la science. Les appels de scientifiques demandant instamment aux états d’en faire plus se sont succédés depuis les années 1970, à l’image de celui lancé en novembre 2019 et signé par 11’000 experts (Le Monde du 7.11.19):

Mais de quoi cette urgence est-elle faite?

L’urgence climatique en 12 min

Nous risquons d'atteindre des points de bascule irréversibles

Le réchauffement est non seulement exponentiel au fil du temps, mais également marqué par des paliers. Une fois ceux-ci atteints, il est impossible d’en revenir. De plus, chacun d’eux déclenche des effets en cascade et un potentiel emballement du dérèglement climatique. Pour les décrire, on parle souvent de points de bascule. En termes plus scientifiques, on les appelle des boucles de rétroaction positive.

Plus d’une dizaine de boucles ont été recensées. L’une d’elles semble déjà active alors qu’on ne l’attendait pas avant plusieurs décennies. Elle est générée par la fonte du permafrost, l’importante portion de sol gelé en permanence dans les régions polaires, qui laisse échapper les énormes quantités de gaz à effet de serre – CO2 et méthane – qu’il contient. S’ajoutant à ceux déjà présents dans l’atmosphère, ces gaz accélèrent le réchauffement, qui accélère la fonte, et ainsi de suite.

Un autre exemple est l’acidification des océans. Plus il y a de CO2 dans l’air, plus l’océan devient acide, et plus les plantes et le phytoplancton qui y vivent et absorbent le CO2 de l’air ont du mal à s’y développer, et donc captent moins de CO2. Tout récemment, une étude démontrait encore que la forêt amazonienne, jusque là puits de carbone, émet désormais davantage de CO2 qu’elle n’en absorbe. C’est, là encore, un palier crucial qui semble franchi…

A lire: Le Monde du 30.4.21 et l’étude originale dans Nature

Il n’y aura ni retour en arrière, ni vaccin.

Qu’il soit induit par les activités humaines ou provenant du cycle naturel, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère. A chaque émission, on ajoute une couche d’isolant thermique autour de la planète. Or, une fois à cet endroit, ce gaz y reste durant des siècles.

Piégée comme sous une couverture, la chaleur ne peut plus s’évacuer vers l’espace. Elle fait progressivement monter la température terrestre moyenne. Et lorsqu’il est lancé, ce processus instaure des conditions qui  perdurent bien au-delà de l’échelle de nos vies humaines. Aujourd’hui, en Suisse, une augmentation de +2 degrés depuis l’avènement de l’ère industrielle a déjà été enregistrée, et même de +8 degrés pendant les canicules.

Car, en plus d’être là pour longtemps, le réchauffement a également pour conséquence d’accentuer les extrêmes. Confrontées à des périodes de sécheresse accrue, des canicules extrêmes, des pluies diluviennes, des inondations à répétition, des ouragans et la montée des eaux, certaines régions deviendront invivables. New York et Venise devraient tout simplement disparaître. Le delta du Nil, le Bangladesh aussi. Et cela se passe aussi plus proche de nous: certains villages du Jura français doivent déjà se faire ravitailler en eau par camions (Le Progrès, vidéo du 9.11.18)

Le dérèglement climatique risque d’entraîner une insécurité alimentaire. Née il y a environ 10’000 ans, l’agriculture n’a été jusque là pratiquée uniquement dans des conditions climatiques très  stables. Avec l’évolution actuelle, sa pratique sera beaucoup plus difficile et incertaine, et la production en sera affectée. C’est déjà le cas maintenant. C’est donc une situation inédite dans l’histoire de l’humanité.

La santé des populations sera également affectée, avec notamment des risques de nouvelles pandémies. L’augmentation des feux de forêt emplit l’air de particules toxiques qui ont plus de peine à s’évacuer et rendent les individus plus fragiles et sensibles à certaines affections, notamment pulmonaires, ou à des maladies telles qu’allergies, asthme ou la Covid. Les prolifération d’insectes comme le moustique tigre par exemple, des sécheresses mettant à mal nos ressources alimentaires, des vagues de chaleur littéralement insupportables pour le corps humain sont autant de risques majeurs, comme en fait état l’émission 36,9 du 28 avril 2021 ou, régulièrement, le groupe des Doctors for XR dont font partie de nombreux experts de la santé.

L'action étatique actuelle est dérisoire et dorénavant la justice enjoint les états à aller plus vite

Ces dernières années en Europe, plusieurs initiatives émanant de groupes de citoyens interpellant leur gouvernement pour manque d’action ont obtenu gain de cause dans les tribunaux de leur pays. C’est le cas aux Pays bas, avec l’arrêt Urgenda en 2019, l’Affaire du siècle en France en janvier 2021, ou encore la Cour Constitutionnelle allemande à fin avril 2021.

Le négationnisme climatique a été payé par l’industrie pétrolière (entre autres)

Une stratégie des grands groupes de pression est de semer sciemment la confusion entre recherche et science, c’est-à dire entre le doute sur lequel la première se base pour tester son objet et la vérification/l’accord collectif que représente la deuxième. Cela permet de légitimer la remise en question de tout résultat scientifique, quel qu’en soit le degré d’adhésion des experts du domaine. Des enquêtes telles que celle du New York Times, relayée en juillet 2019 par Le Temps – Comment nous avons perdu le combat contre le changement climatique – ou le documentaire d’Arte La fabrique de l’ignorance  en démontrent clairement les mécanismes.

En Suisse également, le message est faussé. Car les ambitions que le pays s’est fixé – 50% de réductions de ses émissions de CO2 d’ici 2030 – ne tiennent compte que du volume des émissions de gaz à effet de serre réalisées sur son territoire, c’est à dire 0,1% des émissions mondiales totales, soit entre 4 et 6 tonnes par an par habitant. Or, si l’on tient compte des émissions dites « grises », c’est à dire du CO2 atmosphérique généré à l’étranger par les biens de consommations importés et par l’impact des places financière et du commerce de matières premières helvétiques, la responsabilité de la Suisse est bien plus importante. En prenant par exemple en compte les émissions de consommation en 2014, on arrivait à 15 tonnes de CO2 par habitant par année en Suisse! Pour en savoir plus, ce blog d’un spécialiste en environnement paru en avril  2018 dans le Temps détaille le sujet.

Des mesures politiques d’ampleur doivent être prises

Les engagements des différents pays qui ont ratifié l’Accord de Paris en 2015 sont insuffisants pour en respecter les termes, c’est-à-dire: tout faire pour rester en dessous d’une augmentation de la température mondiale de +1,5 à +2 degrés. Actuellement, si la totalité de ces engagements étaient tenus, on se dirigerait encore vers un monde à +3 degrés. Or, aucun de ces états n’ont à ce jour tenu leurs promesses, qui ne restent, cinq ans après la signature, que des mots sur le papier.

Selon un rapport de l’ONU paru en 2019, « les émissions de CO2, qui augmentent chaque année, doivent être réduites de 7,6% par an, tous les ans entre 2020 et 2030″ pour atteindre l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5°C, fixé par l’Accord de Paris. Or, 7,6 %, c’est plus encore que ce qu’a engendré la pandémie de Covid et les confinements qu’elle a induits en 2020. Et depuis, les émissions ont repris le chemin d’une forte hausse… 

A voir sur le sujet le Global Energy Review 2021 de l’Agence internationale de l’énergie AIE), ainsi que le blog de D.Retelska dans le Temps d’octobre 2020.

Où réduire? Logiquement, les solutions menant à un réelle diminution des émissions se trouvent là où les émissions sont les plus importantes. Or, un rapport de l’ONG Oxfam paru en 2020 montrait quentre 1990 et 2015, les 10% les plus riches du monde ont été responsables de 52% des émissions de CO2 cumulées. En terme de secteurs, ceux de l’extraction, du commerce et de la transformation des matières premières, des importations, de la finance et des transports internationaux sont également parmi les plus gros émetteurs. Là encore, on ne peut que constater que compter essentiellement sur les gestes individuels ou les habitudes de consommation de la population n’est pas réaliste et qu’un changement radical du système de production apparait inévitable.

Et c’est maintenant qu’il faut agir, l’inertie climatique agissant avec retard. Les gaz à effet de serre, ça marche un peu comme une grosse couverture. Lorsque l’on se glisse sous une couette froide, il faut un certain temps pour que la chaleur de notre corps la réchauffe. Une phénomène du même type agit pour le climat. Ainsi, le CO2 émis aujourd’hui conditionne la température qu’il fera dans 15-20 ans.

Les gestes individuels ne suffiront pas, et de loin

Dans le débat public sur le climat, l’accent est souvent mis sur les gestes individuels. Or, cela est totalement disproportionné par rapport à la réalité. Aussi nécessaires soient-elles, les actions que chacun peut faire à son échelle – trier ses déchets, manger moins de viande, renoncer à l’avion et à la voiture – doivent impérativement être mises en regard des autres sources, éminemment plus importantes, d’émissions carbone: celles provenant des industries et de la finance, ainsi que les décisions politiques qui les sous-tendent.

Mettre la responsabilité sur le citoyen est en réalité une manière pour les think tank de nous détourner des responsabilités politiques et économiques. Un exemple est l’introduction des sodas en canette d’aluminium, qui a permis à l’industrie de la boisson de ne plus consigner les bouteilles. Devant le désastre écologique, ils ont investi dans le recyclage et la culpabilisation du consommateur. Le problème c’est leur politique – leur solution, c’est notre culpabilisation. L’émission « Cash investigation » consacrée au plastique décortique cela avec précision.

Si l’on remet un peu les choses à l’endroit, les responsabilités apparaissent bien différemment réparties. Une étude du Climate Accountability Institute de 2019 (Le Guardian du 9.10.19) a démontré par exemple que vingt entreprises – actives essentiellement dans le pétrole et le charbon – ont émis à elles seuls un tiers de toutes les émissions mondiales depuis 1965. Une autre datant de 2017 (CDP 10.07.17) révélait que 100 producteurs actifs de combustibles fossiles, dont ExxonMobil, Shell, BHP Billiton et Gazprom, étaient liés à 71% des émissions industrielles de gaz à effet de serre depuis 1988.

En Suisse également, les proportions doivent être remises dans le bon ordre: la place financière helvétique, par exemple, produit 22 fois plus de gaz à effet de serre que ce qui est émis sur le territoire national. « Alors que les ménages et les entreprises de Suisse émettent chaque année près de 50 millions de tonnes de CO2, la place financière est responsable de l’émission annuelle d’environ 1’100 millions de tonnes de CO2 à travers ses investissements dans les énergies fossiles », relève Greenpeace Suisse.

Il faut nous mobiliser activement pour obtenir que ces mesures soient prises

Les ressources ne sont pas illimitées. Leur exploitation a des conséquence que nous n’avons pas évaluées. Nous devons changer et nous adapter au plus vite.